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Patrick Sainton
Comment et pourquoi des portraits de carton,
scotch, ficelle, papier, etc.
  
  Sans titre (Arthur Cravan)                        Sans titre (Samuel Beckett)                   Sans titre (Stéphane Mallarmé)

 

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Portraits d'écrivains,
portraits d'un lecteur

Comment et pourquoi des portraits de carton, scotch, papier, ficelle, etc. est une galerie de portraits de "grandes figures" de la littérature comme Adamov, Apollinaire, Artaud, Bataille, Beckett, Brecht, Breton, Büchner, Bukowski, Celan, Céline, Cendrars, Cravan, Duras, Fitzgerald, Genet, Gide, Gombrowicz, Guez Ricord, Hemingway, Joyce, D. H. Lawrence, Kerouac, Mallarmé, Mandelstam... Ou encore, Michaux, Musil, Pasolini, Pavese, Pessoa, Pound, Rilke, Wilde, pour ne citer que ceux là. Pour Patrick Sainton, il s'agit de « faire un portrait de ces écrivains qu'il découvre et qui l'accompagnent dans ses lectures. » Et, plus précisément, de « restituer le plaisir qu'il a eu à lire ces textes et à entrer en résonance avec eux ». Avec, en tête, l'idée de « donner envie à chacun de revenir au texte et d'aller voir par soi-même ».


Comment et pourquoi des portraits de carton..., exposition au Carré d'Art en mars 2008 à Nîmes, 240 x 160 cm, 2008
dessins © Patrick Sainton / photographie : © Brigitte Palaggi, 2008

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une adresse à chacun de nous

Cette exposition s'adresse bien à tous, entendez, à toute personne sachant lire, ayant lu ou souhaitant lire. Et plus encore, à toute personne que le nom de ces écrivains hante, chez qui le nom de ces écrivains éveille ou évoque quelque chose. Ainsi, si le "comment" contenu dans le titre, référence au célèbre livre de Francis Ponge Comment une figue de paroles et pourquoi, est explicite, quant aux matériaux employés, à la méthode et la façon de travailler de Patrick Sainton ; le "pourquoi" est sans doute à trouver dans l'énumération quasi magique de ces noms : Dante, Artaud, Gombrowicz... qui sont et fondent la littérature ; aux livres desquels l'on se nourrit et l'on revient sans cesse. Et surtout, du côté de LA LECTURE, cette relation intime que l'on entretient avec l'œuvre de ces auteurs ; la façon dont ils nous font avancer, dans nos réflexions, nos propres travaux ou nos vies.

 
Comment et pourquoi des portraits de carton..., exposition au Carré d'Art en mars 2008 à Nîmes, 240 x 160 cm, 2008
dessins © Patrick Sainton / photographie : © Brigitte Palaggi, 2008

Voilà qui nous éclaire sur un travail exigeant, sans concessions aux modes de l'époque. Patrick Sainton dit proposer « des portraits de cultures. » qui sont aussi des « actes de mémoire — de la personne et de l'œuvre ». Bien entendu, il s'agit de « rappeler à chacun que cela existe : les écrivains, la poésie, la peinture... et qu'il faut s'en nourrir, les lire et relire. Et accepter son manque de substance » quant à eux. Chez lui, cela se traduit principalement par la pauvreté du support et le moins possible de création. « Le portrait est bien une tentative de peinture avec d'autres matériaux. » D'où, ce "carton", qui est aussi celui que l'on trouve dans la rue, ou au fond des palettes de livres. Le "carton" et autres éléments constitutifs de ce travail remarquable : photographies, phrases, scotch brun ou transparent, marqueur, traces et empreintes. Car, pour ce plasticien né en 1956 et marseillais d'adoption, il s'agit, comme il nous le déclare ironiquement, de « faire de la peinture comme un singe » ; et, surtout, de « penser le portrait comme une traduction et non comme une représentation. »


Comment et pourquoi des portraits de carton..., exposition au Carré d'Art en mars 2008 à Nîmes,
240 x 160 cm, 2008 / dessins © Patrick Sainton / photographie : © Brigitte Palaggi, 2008

« La richesse de cette manifestation tient à la nature même du travail de Patrick Sainton et à son parcours atypique ». Dès le départ, son travail s'est trouvé lié à l'écriture de poètes comme Jean-Marie Gleize ou Michel Crozatier. Ses portraits d'écrivains, faisant pendant aux Autoportraits exposés au Pavillon de Lanfant, à Aix-en-Provence, en novembre 2001. Versant d'un même travail, entrepris depuis 1994-1996, qui place l'écriture - comme la lecture - au centre de son questionnement.

Textes et critiques de :
Catalogue disponible (voir contact)

Comment et pourquoi des portraits de carton, scotch, papier, ficelle, etc. a été créé au centre international de poésie Marseille, du 18 janvier au 23 février 2002, et au Musée Ziem, du 8 février au 26 mai 2002. L'exposition donnait lieu à deux lectures et à la publication d'un catalogue (Autres & Pareils, La Revue n°19) co-édité par les éditions la conscience du vilebrequin.

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Sans titre (C. E. Gadda) , 60 x 80 cm, Patrick Sainton © 2006

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Une approche critique,
et un entretien
pour en savoir plus

 

définitions

trois citations de Jean-Luc Nancy
en guise d'introduction

Réfléchissant sur la place et le rôle du portrait dans la peinture, vis à vis de l'histoire de l'art, mais également de l'art contemporain, Jean-Luc Nancy dit que « Le portrait serait (...) la présence artistique — ou la représentation — du sujet en tant que tel, c'est-à-dire comme conscience de soi ou comme présence à soi, et cela non pas en général mais précisément selon la modalité singulière qui fait qu'il n'y a de sujet que singulier (...). » Et, serais-je tenté d'ajouter, en regard du travail de Patrick Sainton, quoi de plus singulier qu'un écrivain ? Un peu plus loin dans ce texte , Jean-Luc Nancy précise que « le portrait apparaît avec la subjectivité », faisant le lien entre le "sujet (de la peinture)" et l'essence du portrait. « (...) Le sujet ne sera jamais effectué autant que dans le portrait et comme portrait. » « (...) le portrait réalise le sujet qui sans lui ne se réalise nulle part ni jamais. Pour durcir le trait, mais à peine, il dit que le portrait est le seul sujet, et qu'il est le seul sujet qu'il y ait jamais eu (...). »Toujours dans le même texte , il souligne que « l'intérêt du portrait est indissociablement double : il mène tout ensemble à l'essence de la peinture et à celle du sujet, et à l'une comme effectivité de l'autre. » Avant de conclure : « si le sujet est rapport à soi, ce rapport passe, pour être ce qu'il est, par une extériorité à soi : cette extériorité est celle du portrait. »


Sans titre (Gombrowicz), techniques mixtes sur carton,
220 x 110 cm, 2002 © Patrick Sainton  



Portrait-robot ou esquisse
de l'œuvre en cours

Le gris, la mine. La mine d'ensemble plus que la mine de plomb. Ce qui grise l'ensemble plutôt que ce qui le mine. Le gris-support. Le gris de fond. Le gris cadré du portrait. Le gris-limite. Le teint plutôt que la teinte. L'heureuse clarté et homogénéité du gris, qui n'est pas, loin s'en faut, la “grise mine” qu'on nous ressert aussitôt.

Insistons. Le choix du gris est le choix du moyen. Le plus neutre, le plus pauvre, le moins refait. Du reste, on n'a cure ! Le fond est de l'ordre du monochrome, c'est-à-dire, de la peinture. Gris, gris, gris. Vous aussi vous entendez ce gris. Vous le voyez au centre et autour, comme cadre, support, évidence, épiderme. Le gris épidermique. Cet aplat gris, couleur carton, couleur "Sainton". Le gris plus ou moins uniforme du fond où la peinture va surgir, où le portrait va se faire, s'offrir.

Et puis, il faudra savoir dévisager le gris. L'instance du gris. Surprendre le gris au fond du gris. Le jeu subtil de la nuance, de la référence. De l'adresse et de la révérence. Tout le travail, terre à terre et intellectuel, des glissements et glissendi, des silences et des hésitations, des déplacements et des citations (en d'autres termes, tout le questionnement de l'artiste à l'instant d'agir) — du gris sur le gris, du gris dans le gris .

Le portrait est une propriété du gris. Il se fait, il sourd dans le laps et l'espace du gris. Dans le "grissement" de l'acte, serait-on tenté de dire. Rectangle grisé, grisonnant, griffé de gris, rivé à cet essor, à la possibilité de celui-ci ; référentiel, certes, et commémoratif ; mais aussi matériel, de cette matière-grise là qu'on malmène, et dont on s'applique à faire entendre la genèse (l'histoire et les conditions de l'acte), et, à faire sortir dans le bruit neutre, mat et brut de la peinture.

Après (et sur) le gris, viennent les taches , les découpes, collages, chiures et sciures du travail manuel-de-la-pensée (ici indissociables) ; la circulation les deux pieds dessus ou dedans ; les "retours et repentirs" qui maculent la matière "brute et têtue" du carton. Concomitamment aux taches, ou les précédant de peu, viennent les rares traits au crayon, l'écriture au feutre, l'emplacement de la photo (ou de la repro) découpée/collée ; l'empâtement de la phrase crochetée ou non, rayée ou non, soulignée ou non.

Et pendant tout le temps que durera l'opération (plusieurs jours à plusieurs mois), l'on verra l'effort de mettre ensemble, d'ajuster au mieux les éléments, le minimal de la forme ; le souci de retrancher encore et encore, d'être économe de ses moyens et de ses mots. De réduire autant que faire se peut "parasitage, esthétisme et bavardage". De ne retenir que l'essentiel, la tension, l'équilibre, la précarité de l'existant, le silence de la contemplation.

Le raboutage grossier du scotch, les stigmates des arrachages et collages successifs, les traces et les traits, les empreintes de pas, instruisent, de manière concrète et casuelle, l'histoire du « portrait en train de se faire » ; se déduisant alors des mêmes éléments plastiques et de cette pauvreté de moyens qui fondent le sens et l'intérêt de cette peinture.

D'où que ces portraits d'écrivains soient, à la fois, le résultat de l'œuvre, mais surtout, la somme des gestes (ou de la geste) de l'artiste ; s'inscrivant contre le bruit du temps, le spectaculaire de l'époque, et la gesticulation médiatique dont, bruyamment, il s'accompagne.

Au bout du compte, une fois dénombré l'ensemble de ces gestes infimes/intimes, et fait apparaître le facteur temps

:[l'interruption/la reprise. La perplexité/le questionnement. Le "laisser reposer". Les remords et répétitions. Les déplacements, masquages, ratures, recadrages. Les éraflures, piétinements, arrêts et suspens] ;
— bref, la fabrique inchoative, élémentaire et fragmentaire, toujours ouverte et toujours en question —
:[jusqu'à ce que soit atteint le point d'équilibre (ou d'efficacité, ou de satisfaction). Jusqu'à ce que cela tienne (jusqu'à l'obtention de ce qu'on voulait ou qui s'en rapproche). Jusqu'à redresser la pièce — le portrait —, qu'il se tienne face à celui qui regarde, dans un rapport de hauteur et de verticalité. Jusqu'à ce que l'on soit, en sa présence, les yeux dans sa grisure, happé par son orbe, son espace mental, sa stèle matérielle et tombale];

voir également, en ces portraits, un autoportrait de l'artiste au travail.



Dans la langue de personne (détail), pièce centrale d'une installation,
dimensions variables , 2005 © Patrick Sainton  

 

Dix questions à
Patrick Sainton

entretien

La première question qu'on a envie
de poser par rapport à ce travail est :
Pourquoi LE PORTRAIT ?

Pourquoi le portrait ? Comme tentative de peinture, avec d'autres matériaux. Comme tentative d'échapper à la notion d'icône ; par exemple, à l'icône Warholienne. Surtout, faire en sorte que cela n'en soit pas. Qu'il n'y ait pas d'assimilation ou de confusion possible. Refuser l'icône qui sommeille au fond de la question du portrait.


Sans titre (Büchner), techniques mixtes
sur carton, moyen format, 2002
© Patrick Sainton  

En outre, cette problématique du portrait me poursuit depuis quelques années : Est-ce que c'est légitime de travailler sur le portrait de nos jours (sous entendu, avec tous les moyens techniques à notre disposition) ? Est-ce que ça vaut le coup ? Est-ce que le portrait nous intéresse ? Est-ce que l'on peut encore dialoguer avec une œuvre, un visage ? avec le "lien intime" ?

Ce qui m'amène à ma deuxième question :
Pourquoi des portraits d'écrivains ?

Ce qui m'intéresse dans cette idée, c'est d'abord de travailler sur des gens qui sont importants pour moi. Et, de travailler, dans un rapport de sincérité quant à eux (ces écrivains que je découvre et qui m'accompagne à travers mes "pauvres lectures"). Bref, comment faire un portrait de ces écrivains qu'on lit, relit, avec qui on correspond (au sens de ce "lien intime", dont je parlais précédemment, qu'on entretient avec ceux dont on se sent proche). Et, justement, comment être proche de l'œuvre et non pas de la personne (Jean-Luc Nancy dit, dans un de ses écrits sur la question, que « dans un portrait peint, on se lit soi-même »).

Avec l'idée, donc, de témoigner au public
qui les verra quelque chose de l'œuvre et
du rapport intime que tu entretiens avec elle...


Oui, c'est sans doute présomptueux de ma part, mais il y a de cela. Vouloir restituer un peu de l'œuvre de l'écrivain dans ces portraits. Faire ressortir le plaisir qu'on a eu à lire ces écrivains et à dialoguer intimement avec eux. Donner envie aux gens d'aller y voir eux-mêmes. Oui, si on interpelle quelqu'un, ne serait-ce qu'une personne, c'est gagné !

Pour en revenir à Warhol, dont on parlait tout à l'heure, je dirais qu'il a réintroduit le portrait dans notre modernité, mais sans rien ajouter. Il a simplement enjolivé le portrait classique. Exactement le contraire de ce que j'essaye de faire.


Concernant les portraits d'écrivain,
comment s'opère ou s'est opéré le choix du sujet ?

Tout simplement sur le principe dit du "hasard et de la rencontre" ; de "l'objet trouvé" tel un cageot Pongien (relire ici le texte de Jean-Marie Gleize paru dans la revue Mars). Je tombe sur une photographie, un texte, une phrase, dans les lieux où je suis amené à vivre, voire même, chez moi, où il m'arrive de faire des rencontres intéressantes, en rangeant le capharnaüm qui me sert d'atelier ou en compulsant les piles de livres de ma bibliothèque.

Et quel en est l'élément déterminant ?

En fait, c'est l'occasion qui détermine le désir de travailler sur tel ou tel poète ou écrivain. Le plus souvent, une photographie sert de point de départ. D'amorce. Cette photographie là et pas une autre. Je veux dire que la photographie n'est pas une condition nécessaire ; il faut que cela entre en résonance avec mes lectures, mes propres interrogations et préoccupations.

Quelle place et/ou quel rôle attribues-tu à la
photographie dans ces portraits ?

Très vite, j'ai utilisé la photographie pour ne pas faire un portrait uniquement avec une phrase. Le rôle de la photographie est double, d'une part, elle joue comme touche (toujours dans cette idée d'essayer de "faire de la peinture sans peinture") ; d'autre part, elle interroge le portrait puisqu'il y a évidemment une "figure" (cf. ces portraits en dix lignes, que Joyce faisait de son père, parus dans la revue Oblique). Ce qui est intéressant dans cette photographie, c'est qu'elle est chargée de signes, elle induit le rapport au "social" et au portrait "traditionnel". Ce qui me fait dire, d'ailleurs, que ce sont plutôt des "portraits de culture".

Il serait peut-être temps de nous dire, justement,
de quoi sont faits ces portraits ?

Le titre, de ce point de vue, est explicite. Il s'agit bien de portrait "de carton, scotch, ficelle, papier, etc." Dans le "etc.", un peu ironique, on pourrait mettre la photographie dont a déjà parlé ou la phrase (puisque la plupart des portraits sont accompagnés d'une phrase)...

Quelle est donc la fonction de ces différents
éléments constitutifs ?

La phrase, dans le portrait, fonctionne comme texte ou élément graphique. La préséance de l'une ou l'autre de ces fonctions est personnelle. La photographie (ou reprographie) fonctionne comme un dépôt. Un dépôt de gris, de couleur. Elle est là aussi pour figurer (je renvoie ici à ce j'ai déjà dit de son rôle et de son sens). Le fond neutre gris s'est "aplatir la peinture", et aussi, tendre vers le monochrome. Tout ce que j'aime, en fait. Le feutre, tout de suite il fait couleur, même s'il est noir. D'ailleurs, sur le scotch transparent, il devient violet. Le scotch, les collages, les traces de pied — c'est pour être dans la peinture ; comme on dit dans l'œuvre.

Est-ce que l'on pourrait revenir à la fois sur
la nature des "phrases" et sur le dernier
point, à savoir : "être dans la peinture" ?

Concernant ces phrases, on pourrait considérer qu'il y a deux possibilités : Soit elles sont "plastiques", soit elles signifient quelque chose. Je crois qu'elles sont d'abord "plastiques". Cela posé, je voudrais insister sur leur nature et leur origine. Pour la plupart, ces phrases sont tronquées, concassées, passées par le tamis personnel ou accentuées (par exemple, la phrase de Klaus Mann : « Je suis de mon temps » devient « Je, être de mon temps »). Certaines ont déjà servi à des autoportraits. certaines continuent de circuler, intactes ou pas, depuis une dizaine d'années, à l'intérieur des dessins ou des installations. Ce que je peux dire sur leur nature, c'est qu'elles ne sont pas narratives. Je ne suis même pas sûr que ce soient vraiment des phrases. Jean-Marie Gleize les qualifie simplement d'énoncés. Dès fois, elles disparaissent au profit des seules initiales du poète. Elles ont à voir aussi avec l'inscription funéraire (le rapport à la stèle et au tombeau est assez évident). C'est pour ça qu'elles doivent être vives, qu'elles sont cette chose qui vient pointer ou ponctuer le portrait. Seules, les phrases sont vivantes, parce qu'elles sont ce qui subsiste du poète (je cite : « vous ne m'avez pas pris ces lèvres qui remuent »). Il ne s'agit pas non plus de citations, au sens propre. Elles révèlent le personnage et l'œuvre. Elles nous parlent, nous accompagnent, comme ça, et d'une certaine manière, nous aident à vivre.

Concernant le deuxième point, je crois que c'est assez clair. "Être dans la peinture", c'est être en acte, en train de. Montrer les circonstances dans lesquelles l'œuvre se fabrique. Cette "petite histoire", ou, ce que Denis Roche appelle, "la montée des circonstances". En quelque sorte, intégrer à la peinture, son mode de fabrication. Dire qu'un corps l'a fait ; comme si ce n'était pas qu'un portrait, mais la mémoire d'un acte (ça n'a rien de nouveau, et la référence pongienne du titre est aussi là pour indiquer dans quoi l'on s'inscrit).

C'est pour cette raison, également, qu'il y a une persistance dans ces portraits des "vanités" (ces "petites têtes de mort" qui traînent encore ça et là) fortement présentes dans mes travaux précédants. Parce que je voudrais faire des portraits qui soient des actes de mémoire de la personne et de l'œuvre. Rappeler aux gens que cela existe (les écrivains, la poésie, la peinture).

Pour finir, est-ce que tu pourrais situer ce travail
par rapport à ce que tu as fait précédemment,
et notamment, par rapport aux autoportraits ?

Portraits et autoportraits utilisent la même technique. Ce qui les différencie, c'est l'adresse ; le point de vue qui oriente et fonde ce travail. Avant de s'attaquer à ces écrivains, il faut s'en nourrir. Lire et relire. Accepter son manque de substance (la mienne de substance, c'est pour ainsi dire "la pauvreté du support" et "le moins possible de création"). Quand je faisais des autoportraits, j'essayais de soutirer des choses que je pouvais m'attribuer. De même, pour les portraits, je cherche à extraire de l'œuvre des choses qui valent aussi pour moi (des choses qui correspondent à mon être profond, que je ressens et que j'aurais pu formuler). L'écueil à éviter, c'est de réduire le portrait à la phrase. De ne faire de la peinture qu'avec elle.

D'où, la colle, la photo, le feutre, les taches, le scotch transparent et le scotch noir. D'où : "faire de la peinture comme un singe". D'où, le cadre, le cadrage, la fascination pour les Antéfixes de Denis Roche. Le modèle, s'il y en a un, serait sans doute celui là : Faire Les dépôts de savoirs et de techniques, mais en peinture. Et surtout, de penser le portrait comme une traduction, et non comme une représentation.

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Chronologie & bibliographie
de Patrick Sainton

parcours

Patrick Sainton vient de l'écrit — Études de philosophie — Il lit beaucoup, croise la route de plusieurs poètes, dont Michel Crozatier — En matière d'arts plastiques, c'est un autodidacte accompli — Pas de formation spécialisée — Donc, pas de concessions, de soumissions, aux modes de l'époque — Mais, une curiosité insatiable — « Je — être de mon temps », dit-t-il, dans un demi sourire.

Son travail plastique débute dans le milieu des années soixante-dix, suite à la lecture de Cosmos (Gombrowicz) — Déclic qui va l'amener à produire des signes (dans son souvenir, un dessin figurant une flèche) — Il fera un tableau, démarqué de ce livre, utilisant cette figure de la flèche — Puis une série, réalisée au pochoir, donnant une indication de sens — Une direction — De ce tableau, date aussi la rencontre avec Jean-Marie Gleize et le début de leur collaboration — JMG lui demande des dessins pour un manuscrit, qu'il entreprend en « cassant les outils de l'écrivain » — Plus tard, il s'essaiera à produire des “objets poétiques” — série dispersée, période close.


the poet

« La poésie n'est pas un genre
littéraire, c'est une maladie. »
D'après Pasolini

Fin des années quatre-vingts, début quatre-vingt-dix, il commence la série des « Vanités » — La poésie est morte — N'en finit pas de mourir. (« Mou-RIRE », dirait Maurice Roche) — C'est toujours dans l'air du temps — En même temps, elle n'a jamais été aussi vivace, et pratiquante (la croyance est encore forte) — Patrick Sainton, devant ce paradoxe très entretenu, opte pour la distance — le geste railleur ou moqueur — par ses petites bêtes, petites “têtes de mort”, terriblement récurrentes et drolatiques, qui hanteront tout son travail.

Le poète (« the poet ») est tête de mots, tête de mort — Est la mort, est posthume — Est dans la plainte — Est dans le mythe — Est “maudit” — Est un mort en puissance — Est (déjà) dans le culte de sa mort (à venir) — Patrick Sainton enfonce le clou, appuie là où ça fait mal — « Un bon poète est un poète mort » (discours social, plus répandu qu'on croit) — Les autres, les “vivants”, sont pour la plupart dans le gémissement — le chuintement, le suintement — le chant plaintif — le lyrisme larmoyant ou le malentendu.

À ceux-là, Patrick Sainton oppose, vrai pied-de-nez, ses vanités dépouillées — Elles seront drapeau-pirate (pire acte) — clin d'œil — étendard négatif du leurre qu'il dénonce — Elles circuleront à l'intérieur de l'œuvre, comme la figure de l'arbre — Son squelette décanté — Patrick Sainton tire sur l'idolâtrie (l'idiolatrie), rature l'image d'Epinal — Puis, ou concomitamment, confectionne ses “tombeaux” de poètes ou d'écrivains : boîtes à chaussure, fil de fer, scotch, crâne — Lesquels sont, à la fois, exercice d'admiration, inscrit dans la tradition, et réquisitoire contre l'époque (mercantilisme post-mortem).

La poésie est ailleurs, comme la peinture — Il ne s'agit pas de s'apitoyer, mais d'avancer, de « faire » — Avec ou contre — De faire avec peu, mais avec — ce qu'on a sous la main, qu'on trouve — Et, chaque fois, d'inventer à partir de là, à partir de cette grammaire plastique, au présent de création.


tombeau

« Au nom de ce qui s'écrit
comme une tête de mort
(d'Homère à Pasolini) »

M. C.

Le tombeau est l'antéfixe — Déjà un portrait en creux — Tête de mots — VIRGILE — Dans un faisceau de fil de fer — Un portrait à la lettre — Surmonté d'une entête (de mort) — Si toute trace est vaine, que dire alors de l'œuvre ?

Du poète, il ne reste que le nom, épelé jusqu'à nous — Jusqu'à perdre toute signification — L'art traverse les noms — La forme des visages — La littérature résonne de ceux qui furent, leurs noms portés jusqu'à nous — Quelle représentation avons-nous de Virgile ? Homère ? Dante ? Adamov ? — La littérature comme cimetière sonore, caisse de résonnance patronymique.


épelé vers M.C.

Viennent ensuite les “autoportraits” — Puis, les “portraits” — Périodes qui se chevauchent — Séries qui se font écho — Je(u) de tiroir, œuvre en miroir — À l'origine, un texte de Michel Crozatier Survivance/Imprégnation — Ce travail avec M.C., paru à La Sétérée : les discussions, les collages, les lettres — Correspondance élective, point-source, commune maturation — Dans ce livre, il est question de Mandelstam, Pound, Mallarmé — Et aussi d'Olson, Khlebnikov et Zanzotto — L'exemple est « à vivre, à amplifier » — Les phrases renversent, hantent, transpercent — Les portraits sont le lien, le prolongement affectif et logique — Une façon de poursuivre et de se souvenir — Un dialogue avec soi, avec l'autre, la peinture, les livres — Le temps qui se condense dans l'énoncé, la mise en espace, le minimum requis — Ces portraits feront l'objet d'une double exposition, à Marseille (cipM) et Martigues (Ziem) — Ou encore, l'objet du catalogue que vous lisez.

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© Patrick Sainton / Autres et Pareils, 2005.